L’engagement
chrétien aujourd’hui
Dans le chapitre qui
introduit l’exhortation post-synodale du diocèse de Banfora, Monseigneur Lucas
Kalfa SANOU disait que « le rôle de l’Église pour une évolution des
mentalités est capital ». Cela s’avère même la condition sine qua non « pour
un nouvel élan en vue de la proclamation de la foi que le Christ confie à son
Église dans le mandat missionnaire » (Exhortation post-synodale. Diocèse de Banfora “par tes œuvres
montre ta foi” (cf. Jc 2, 14-26), p. 8). Dans un cadre un peu plus global, les
évêques de la conférence épiscopale des États-Unis d’Amérique ont, en 1992, vu
dans l’agir chrétien une expression de la volonté du Steward (disciple) du Christ qui prend l’engagement de s’assumer et
de s’affirmer dans son Église en prenant une part active dans sa mission. Cela
vaut aussi bien pour l’ensemble les fidèles chrétiens laïcs et les pasteurs que
pour toute personne de bonne volonté partageant le point de vue de l’Église sur
certaines questions sensibles, et qui, individuellement veulent faire de la
coresponsabilité ecclésiale leur raison de participer à la mission de l’Église
qui a appris à compter sur l’ensemble de ses membres et sur chacun individuellement
(Lettre pastorale Stewardship: A
Disciple’s Response). Intervenant au dixième anniversaire de cette lettre, Mgr John
J. MCRAITH disait que le stewardship
est “the call to follow Jesus and imitate
his way of life.” C’est un appel à suivre Jésus et à l’imiter. Cela engage le
disciple du Christ dans une pleine participation-coresponsabilité.
Dans le contexte
néotestamentaire, se faire appeler « disciple » indique le serviteur
qui a en charge la gestion des affaires de la famille. Considérant une Église
Famille où chacun des membres a reçu des dons, tous les membres sont appelés à
contribuer à la construction du Règne de Dieu en tant que gestionnaires et
transmetteurs fidèles des dons reçus. Toute personne qui contribue de cette
manière-là à l’édification du Royaume de Dieu est appelée disciple et participe
à l’éveil des mentalités pour un engagement chrétien fécond aujourd’hui.
1. L’engagement comme coresponsabilité de tous pour la
cause commune
Une telle définition
du disciple dans un corps auquel il appartient nécessite la responsabilisation
de chaque membre comme le dit l’archevêque de Washington (Cf. Charles E. ZECH, Best practices in Catholic Church Ministry
Performance Management, p. 11). Pour le cardinal Donald W. WUERL,
l’implication de chaque chrétien passe par sa responsabilisation tant au niveau
de la transmission que de la consultation et de la collaboration. Il s’agit
donc d’une responsabilité qui porte le chrétien à res-pondere (répondre) de ses initiatives, de son agir, étant donné
sa situation de subordination à Dieu. L’expression «image de Dieu» contenu dans ce verset biblique donne au disciple du
Christ, tout son sens ecclésial : «chacun
selon la grâce reçue, mettez-vous au service les uns des autres, comme de bons
intendants d’une multiple grâce de Dieu» (1 Pierre 4,10). Ce passage
traduit en effet l’esprit qui doit habiter le véritable disciple du Christ. En
partant de la considération selon laquelle le chrétien est celui qui s’engage à
être disciple de Jésus-Christ, on peut dire que la gestion au sens large,
c’est-à-dire dans le double mouvement de chercher et de gérer, est une fonction
du véritable disciple du Christ. Comment investir et faire fructifier les
ressources en Temps, en Talent et en Trésor (argent) que Dieu a mis à sa
disposition est un mode de vie et un programme pour grandir dans la foi quand
on choisit de s’engager comme disciple du Christ. Apprendre à recevoir et à
donner est le principe de base d’une véritable incarnation de l’Évangile, mieux
cela forme les balises d’une véritable transmission que le christianisme
s’emploie chaque jour à faire découvrir aux fidèles. Cette transmission du
style de vie ad extra et ad intra implique nécessairement la
dimension matérielle (Cf. Cristian
MENDOZA OVANDO, La dimensione economica nella Chiesa. Elementi di
riflessione per la comunicazione istituzionale, p. 312).
C’est au prix d’un
tel engagement que la vie du disciple du Christ peut avoir un impact sur notre
monde pris de vertige dans le tourbillon de la globalisation. Dans l’esprit du
christianisme, on donne parce que Dieu a donné. Il devient en ce cas impérieux
de s’interroger sur la manière de recevoir ces grâces de Dieu et la manière de
les redistribuer. D’où la question fondamentale qui devrait habiter tout fidèle
chrétien soucieux du caractère ample de l’activité missionnaire et des
exigences qui en sont liées ainsi que la question sur la manière dont un
chrétien pourrait donner fidèlement et de manière responsable, non seulement
financièrement mais aussi et surtout de son temps et de ses talents.
Les réponses à ces
questions qui fondent le christianisme et qui déterminent le disciple dans son
engagement, nous les trouvons dans cet enseignement du prophète Malachie:
« Apportez intégralement la dîme au
trésor, pour qu’il y ait la nourriture chez moi. Et mettez-moi ainsi à
l’épreuve, dit Yahvé Sabaot, pour voir si je n’ouvrirai pas en votre faveur les
écluses du ciel et ne répandrai pas en votre faveur la bénédiction en
surabondance » ( Mal 3,10).
Toutes ces
considérations loin de nous faire perdre de vue le véritable esprit de la
religion apportée par le Christ, le renforcent. Ce mode de vie
développé par la communauté chrétienne catholique de part le monde et qui est
essentiellement basé sur les principes bibliques, est bien ancré dans les mœurs
et ne cesse de produire une spiritualité qui régénère au quotidien la vie des
chrétiens en précisant la nature et les implications de leur rapport avec
Jésus. Le christianisme est vécu comme la réponse des disciples à l’appel de
Dieu à poursuivre l’œuvre de la création.
Avant de répondre à
un besoin purement matériel, l’Église crée fondamentalement en chaque chrétien
un sentiment tout orienté vers la recherche d’une vraie adoration de Dieu
doublée du sentiment profond de la reconnaissance des grâces reçues. L’homme
n’en est pas le propriétaire. Il n’est qu’un simple administrateur des biens.
Le christianisme est donc pour le chrétien le sentiment de reconnaissance
envers Dieu qui lui fait prendre conscience du devoir sacré de restituer en
retour une partie du temps, du talent et du trésor qu’il a bien voulu lui
allouer pour ses usages quotidiens. C’est cette reconnaissance que les chrétiens
sont appelés à traduire dans leur vie quotidienne, à l’image des petites
communautés chrétiennes de base dont il a largement été question lors des
travaux du Concile Vatican II et que le synode sur la Nouvelle Évangélisation
se fait le porte-flambeau.
Pour le disciple du
Christ, la formation est un voyage qui dure toute la vie et pendant lequel des
hommes et des femmes offrent leurs expériences de vie, partagent des
connaissances acquises et s’engagent à montrer la route aux autres tout en
faisant chemin. Telle est l'esquisse d'une participation active qui voit dans
la coresponsabilité la locomotive qui entraine et implique de manière efficace
tous les disciples du Christ dans leur engagement. En cela se trouve l’esquisse
de la réponse du disciple du Christ à sa suite.
2. L’engagement comme réponse du véritable disciple
Dans l’activité
apostolique (dans le diocèse, en paroisse, dans les équipes et communautés de
vie), tous les aspects de la vie quotidienne sont pris en compte : accorder
à Dieu une partie de notre précieux Temps pour la prière et pour prendre soin
des autres, identifier nos Talents pour en mettre à la disposition de Dieu et
des personnes et offrir de son Trésor pour la mission au milieu des hommes et
des femmes de ce monde. Cette conviction porte chacun à être membre par
l’engagement et le service auprès de tous.
Les sept dons de
l’Esprit que Saint Paul trouve dans son énumération doivent être monnayés à
l’infini si l’on veut vraiment qu’ils servent à l’édification de nos communautés
chrétiennes. Dans ce sens il y a des dons de l’enseignement et de guérison qui
sont explicitement mentionnés dans les Saintes Écritures et la gamme des dons moins
évidents comme par exemple : être assez créatif pour la collecte et
l’investissement de fonds, être expérimenté en business ou en finance pour une
bonne gestion des fonds généreusement confiés, être d’une certaine compétence
en matière d’organisation pour mieux gérer les œuvres et développer des
initiatives en vue de recueillir des fonds pour le fonctionnement des
collectivités, être averti dans le précieux domaine de recherche de subventions
pour soutenir l’éducation.
Une autre extension
de ces dons porterait par exemple sur les métiers: peinture, plomberie,
menuiserie, où il y a aussi un besoin croissant de compétences dans un monde
ecclésial où les structures sont frappées par le vieillissement et où la
question de l’entretien se pose avec acuité. Il y a aussi la connaissance dans
le domaine de l’informatique tant sollicité pour la maintenance des appareils,
la gestion des sites web ou encore les conceptions graphiques. Autant de
domaines qui nécessitent l’intervention du véritable disciple du Christ (en
Temps, en Talent et en Trésor) en vue de la construction du Royaume.
En conclusion, la définition du disciple fait penser à la
parabole de l’ « intendant fidèle », où l’environnement moderne lui
colle le sens trop étroit d’ «administration pour le compte d’autrui». Même si
la connotation financière tend à éclipser malheureusement la dimension de
service propre à l’usage ecclésial, le domaine d’intervention des fidèles
disciples du Christ s’étend à perte de vue dans des secteurs bien plus
diversifiés qu’on ne le pense. C’est ce qui fait dire à H. SKOLIMOWSKI que
« L’époque qui vient doit être perçue comme celle du stewardship » (The Steward. Eco-Philosophy: Designing New Tactics for Living, p. 54). En raison de cette implication à tous les secteurs de
la vie humaine et sociale, on peut dire
qu’il
nous appartient à tous, aussi bien individuellement
que collectivement, de mettre notre
main dans la pâte de l’évangélisation pour donner de notre temps, de nos talents
et de notre trésor afin que
l’annonce du règne puisse aller de l’avant aujourd’hui, demain et toute notre
vie, ici partout ailleurs dans le monde. C’est en cela que notre engagement comme
chrétien trouve place dans l’aujourd’hui d’une Église dont la vocation est
missionnaire.
Abbé Roger SEOGO