La paix par un nouveau modèle de développement et d’économie
En ce début d’année 2013,
je propose à votre méditation, ce que je considère être l’essentiel pour tout
homme de bonne volonté et pour le chrétien en particulier, appelé chaque jour à
rendre compte de sa vie de chrétien dans un monde en perpétuelle quête de
« bonheur ». Au fond, c’est le souhait d’une bonne et heureuse année
2013 que j' adresse personnellement à vous ainsi qu’à tous ceux qui vous
sont chers, en empruntant les paroles-mêmes de sa Sainteté le Pape Benoit XVI à
l’occasion de la journée mondiale de la paix célébrée le 1er Janvier
de chaque année. Ce message ci-dessous est pour l’année en cours. Je vous le
livre dans son intégralité :
« Une unique famille
humaine »
1. Chaque année nouvelle porte en elle
l’attente d’un monde meilleur. Dans cette perspective, fondée sur la foi, je
prie Dieu, Père de l’humanité, de nous donner la concorde et la paix afin que
puissent se réaliser pour tous les aspirations à une vie heureuse et prospère.
À 50 ans de l’ouverture du Concile
Vatican II qui a permis de renforcer la mission de l’Église dans le monde, il
est encourageant de constater que les chrétiens – peuple de Dieu en communion
avec lui et en chemin parmi les hommes – s’engagent dans l’histoire en
partageant ses joies et ses espoirs, ses tristesses et ses angoisses[1],
annonçant le salut du Christ et promouvant la paix pour tous.
Notre temps en effet, marqué par la
mondialisation, avec ses aspects positifs et négatifs, mais aussi par des
conflits sanglants toujours en cours et par des menaces de guerre, demande un
engagement renouvelé et collectif pour la recherche du bien commun, du
développement de tous les hommes et de tout l’homme.
Les foyers de tension et d’opposition
causés par des inégalités croissantes entre riches et pauvres, par la
prévalence d’une mentalité égoïste et individualiste qui s’exprime également au
travers d’un capitalisme financier sans régulation, nous inquiètent. En plus
des différentes formes de terrorisme et de criminalité internationales, les
fondamentalismes et les fanatismes qui défigurent la vraie nature de la
religion, appelée qu’elle est à favoriser la communion et la réconciliation
entre les hommes sont autant de dangers pour la paix.
Et pourtant les nombreuses œuvres de
paix dont le monde est riche, témoignent de la vocation innée de l’humanité à
la paix. En chaque personne, le désir de paix est une aspiration essentielle
qui coïncide, d’une certaine façon, avec le désir d’une vie humaine pleine,
heureuse et accomplie. En d’autres termes, le désir de paix correspond à un
principe moral fondamental, c’est-à-dire au développement intégral, social,
communautaire, entendu comme un droit et un devoir, et cela fait partie du
dessein de Dieu sur l’homme. L’homme est fait pour la paix qui est don de Dieu.
Tout ce qui précède m’a conduit à
m’inspirer, pour ce Message, des paroles de Jésus-Christ : « Heureux
les artisans de paix, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9).
La béatitude évangélique
2. Les béatitudes, proclamées par Jésus
(cf. Mt 5,3-12 et Lc 6,20-23), sont autant de promesses. Dans la tradition
biblique en effet, le genre littéraire correspondant à la béatitude porte
toujours en lui-même une bonne nouvelle, c’est-à-dire un évangile, qui culmine
en une promesse. Les béatitudes ne sont donc pas seulement des recommandations
morales dont l’observance prévoit, au temps prescrit – temps généralement situé
dans l’autre vie –, une récompense, c’est-à-dire une situation de bonheur à
venir. La béatitude consiste plutôt en l’accomplissement d’une promesse
adressée à tous ceux qui se laissent guider par les exigences de la vérité, de
la justice et de l’amour. Ceux qui mettent leur foi en Dieu et en ses promesses
apparaissent souvent aux yeux du monde naïfs et éloignés de la réalité. Eh
bien, Jésus leur déclare qu’ils découvriront être fils de Dieu non seulement
dans l’autre vie mais déjà en celle-ci et que, depuis toujours et pour
toujours, Dieu est pleinement solidaire d’eux. Ils comprendront qu’ils ne sont
pas seuls parce qu’Il est du côté de ceux qui s’engagent en faveur de la
vérité, de la justice et de l’amour. Jésus, révélation de l’amour du Père,
n’hésite pas à s’offrir lui-même en sacrifice. Quand on accueille Jésus-Christ,
Homme-Dieu, on vit la joyeuse expérience d’un don immense : le partage de
la vie même de Dieu, ou encore la vie de la grâce, prémisse d’une existence
pleinement heureuse. Jésus-Christ nous donne en particulier la paix véritable
qui naît de la rencontre confi ante de l’homme avec Dieu.
La béatitude de Jésus dit que la paix
est à la fois don messianique et œuvre humaine. En effet, la paix présuppose un
humanisme ouvert à la transcendance. Il est fruit du don réciproque, d’un
enrichissement mutuel, grâce au don qui jaillit de Dieu et permet de vivre avec
les autres et pour les autres. L’éthique de la paix est une éthique de la
communion et du partage. Il est alors indispensable que les différentes
cultures contemporaines dépassent les anthropologies et les éthiques fondées
sur des présupposés théorico-pratiques surtout subjectifs et pragmatiques, au
nom desquels les relations de cohabitation sont inspirés par des critères de
pouvoir ou de profit, où les moyens deviennent des fins et vice-versa, où la
culture et l’éducation sont seulement centrées sur les instruments, sur la
technique et sur l’efficience. Le démantèlement de la dictature du relativisme
et de l’adoption d’une morale totalement autonome qui interdit la
reconnaissance de l’incontournable loi morale naturelle inscrite par Dieu dans
la conscience de chaque homme est une condition nécessaire de la paix. La paix
est construction d’un vivre-ensemble en termes rationnels et moraux, s’appuyant
sur un fondement dont la mesure n’est pas créée par l’homme mais par Dieu même.
« Le Seigneur donne la puissance à son peuple, le Seigneur bénit son
peuple dans la paix », rappelle le Psaume 29 (v.11).
La paix : don de Dieu et œuvre de
l’homme
3. La paix concerne l’intégrité de la
personne humaine et appelle l’implication de tout l’homme. C’est la paix avec
Dieu, en vivant selon sa volonté. C’est la paix intérieure avec soi-même et la
paix extérieure avec le prochain et avec toute la création. Elle comporte
principalement, comme l’a écrit le bienheureux Jean XXIII dans l’encyclique
Pacem in Terrisdont nous commémorerons dans quelques mois le cinquantième
anniversaire, la construction d’un vivre-ensemble fondé sur la vérité, sur la
liberté, sur l’amour et sur la justice[2]. La négation de ce qu’est la véritable
nature de l’être humain, en ses dimensions essentielles, en sa capacité
intrinsèque de connaître le vrai et le bien et, en définitive, Dieu lui-même,
met en danger la construction de la paix. Sans la vérité sur l’homme, inscrite
en son cœur par le Créateur, la liberté et l’amour s’avilissent, la justice
perd le fondement de son exercice.
Pour devenir d’authentiques artisans de
paix, l’attention à la dimension transcendante est fondamentale comme l’est le
dialogue constant avec Dieu, Père miséricordieux, dialogue dans lequel on
implore la rédemption que nous a obtenue son Fils Unique. Ainsi l’homme peut
vaincre ce germe d’affaiblissement et de négation de la paix qu’est le péché en
toutes ses formes : égoïsme et violence, avidité et volonté de puissance
et de domination, intolérance, haine et structures injustes.
La réalisation de la paix dépend avant
tout de la reconnaissance d’être, en Dieu, une unique famille humaine. Celle-ci
se structure, comme l’a enseigné l’Encyclique Pacem in Terris, à travers des
relations interpersonnelles et des institutions soutenues et animées par un
« nous » communautaire, impliquant un ordre moral, interne et
externe, où sont sincèrement reconnus, selon la vérité et la justice, les
droits réciproques et les devoirs correspondants. La paix est un ordre vivifié
et structuré par l’amour ; ainsi chacun ressent comme siens les besoins et
les exigences d’autrui, fait partager ses propres biens aux autres et rend la
communion aux valeurs spirituelles toujours plus répandue dans le monde. Cet
ordre se réalise dans la liberté, c’est-à-dire de la façon qui convient à la
dignité des personnes qui, par leur nature raisonnable elle-même, assument la
responsabilité de leurs actes[3].
La paix n’est pas un rêve, ce n’est pas
une utopie : elle est possible. Nos yeux doivent regarder plus
profondément, sous la surface des apparences et des phénomènes, pour distinguer
une réalité positive qui existe dans les cœurs parce que tout homme est créé à
l’image de Dieu, et appelé à grandir, contribuant à l’édification d’un monde
nouveau. Dieu lui-même en effet, par l’incarnation de son Fils et la rédemption
qu’il réalise, est entré dans l’histoire, suscitant une nouvelle création et
une nouvelle alliance entre Dieu et l’homme (cf. Jer 31,31-34), nous donnant la
possibilité d’avoir « un cœur nouveau » et « un esprit
nouveau » (cf. Ez 36,26).
C’est justement pourquoi l’Église est
convaincue qu’existe l’urgence d’une nouvelle annonce de Jésus-Christ, premier
et principal facteur du développement intégral des peuples et aussi de la paix.
En effet, Jésus est notre paix, notre justice, notre réconciliation (cf. Ep
2,14 ; 2 Cor 5,18). L’artisan de paix, selon la béatitude de Jésus, est
celui qui recherche le bien de l’autre, le bien complet de l’âme et du corps, aujourd’hui
et demain.
De cet enseignement, on peut déduire
que toute personne, toute communauté – religieuse, civile, éducative et
culturelle –, est appelée à être artisan de paix. La paix est principalement
réalisation du bien commun des différentes sociétés, qu’elles soient primaires
ou intermédiaires, nationales, internationales ou mondiale. C’est justement
pourquoi on peut dire que les voies de réalisation du bien commun sont aussi
celles qu’il importe de parcourir pour obtenir la paix. Les artisans de paix
sont ceux qui aiment, défendent et promeuvent la vie dans son intégralité
4. Le chemin de réalisation du bien
commun et de la paix est avant tout le respect pour la vie humaine, considérée
dans la variété de ses aspects, à commencer par sa conception, dans son
développement, et jusqu’à son terme naturel. Les vrais artisans de paix sont
alors ceux qui aiment, défendent et promeuvent la vie humaine en toutes ses
dimensions : personnelle, communautaire et transcendante. La vie en
plénitude est le sommet de la paix. Qui veut la paix ne peut tolérer des
atteintes ou des crimes contre la vie.
Ceux qui n’apprécient pas suffisamment
la valeur de la vie humaine et, par conséquent, soutiennent la libéralisation
de l’avortement par exemple, ne se rendent peut-être pas compte que de cette
façon ils proposent la recherche d’une paix illusoire. La fuite des
responsabilités qui avilit la personne humaine et, encore davantage, le meurtre
d’un être sans défense et innocent, ne pourront jamais produire ni bonheur ni
paix. Comment peut-on penser en effet construire la paix, le développement
intégral des peuples ou la sauvegarde même de l’environnement sans que soit
défendu le droit des plus faibles à la vie, à commencer par les enfants à
naître ?
Toute atteinte à la vie, en particulier
à son origine, provoque inévitablement des dégâts irréparables pour le
développement, pour la paix, pour l’environnement. Il n’est pas juste non plus
de codifier de manière sournoise de faux droits ou des abus qui, fondés sur une
vision réductrice et relativiste de l’être humain et sur l’utilisation habile
d’expressions ambiguës destinées à favoriser un prétendu droit à l’avortement
et à l’euthanasie, menacent le droit fondamental à la vie. La structure
naturelle du mariage doit être aussi reconnue et promue, c’est-à-dire l’union
entre un homme et une femme, face aux tentatives de la rendre juridiquement
équivalente à des formes radicalement différentes d’union qui, en réalité, la
dénaturent et contribuent à la déstabiliser, éclipsant son caractère
particulier et son rôle social irremplaçable.
Ces principes ne sont pas des vérités
de foi ; ils ne sont pas non plus seulement une conséquence du droit à la
liberté religieuse. Ils sont inscrits dans la nature humaine elle-même,
identifiables par la raison, et donc communs à toute l’humanité. L’action de
l’Église en faveur de leur promotion ne revêt donc pas un caractère
confessionnel mais s’adresse à toutes les personnes, quelle que soit leur
appartenance religieuse. Cette action est d’autant plus nécessaire que ces
principes sont niés ou mal compris, car cela constitue une offense faite à la
vérité de la personne humaine, une grave blessure infligée à la justice et à la
paix.
C’est pourquoi la reconnaissance par
les ordonnancements juridiques et par l’administration de la justice du droit à
l’usage du principe d’objection de conscience face à des lois et à des mesures
gouvernementales portant atteintes à la dignité humaine, comme l’avortement et
l’euthanasie, est aussi une importante contribution à la paix.
Parmi les droits fondamentaux,
concernant aussi la vie pacifique des peuples, il y a également celui des
particuliers et des communautés à la liberté religieuse. En ce moment de
l’histoire, il devient de plus en plus important qu’un tel droit soit promu non
seulement du point de vue négatif, comme liberté face à – par exemple des
obligations ou des restrictions relatives à la liberté de choisir sa propre
religion –, mais aussi du point de vue positif, en ses différentes
articulations, comme liberté de : par exemple de témoigner de sa propre
religion, d’annoncer et de communiquer ses enseignements ; d’accomplir des
activités éducatives, de bienfaisance et d’assistance qui permettent
d’appliquer les préceptes religieux ; d’exister et d’agir en tant qu’organismes
sociaux, structurés selon les principes doctrinaux et les fins
institutionnelles qui leur sont propres. Malheureusement, même dans les pays de
vieille tradition chrétienne, se multiplient les épisodes d’intolérance
religieuse, en particulier contre le christianisme et contre ceux qui revêtent
simplement les signes distinctifs de leur propre religion.
L’artisan de paix doit aussi avoir
conscience que de plus en plus de secteurs de l’opinion publique sont touchés
par les idéologies du libéralisme radical et de la technocratie qui leur
instillent la conviction selon laquelle la croissance économique est à obtenir
aussi au prix de l’érosion de la fonction sociale de l’État et des réseaux de
solidarité de la société civile, ainsi que des droits et des devoirs sociaux.
Or, il faut considérer que ces droits et devoirs sont fondamentaux pour la
pleine réalisation des autres, à commencer par les droits et les devoirs
civiques et politiques.
Parmi les droits et les devoirs sociaux
aujourd’hui les plus menacés, il y a le droit au travail. Cela est dû au fait
que le travail et la juste reconnaissance du statut juridique des travailleurs
sont de moins en moins correctement valorisés, parce que le développement
économique dépendrait surtout de la pleine liberté des marchés. Le travail est
appréhendé comme une variable dépendant des mécanismes économiques et
financiers. À ce sujet, je répète ici que la dignité de l’homme, ainsi que la
logique économique, sociale et politique, exigent que l’on continue à « se
donner comme objectif prioritaire l’accès au travail ou son maintien, pour
tous »[4]. La réalisation de cet objectif ambitieux a pour condition une
appréhension renouvelée du travail, fondée sur des principes éthiques et des
valeurs spirituelles de nature à renforcer sa conception en tant que bien
fondamental pour la personne, la famille, la société. À ce bien correspondent
un devoir et un droit qui exigent des politiques courageuses et novatrices en
faveur du travail pour tous.
Construire le bien de la paix par un
nouveau modèle de développement et d’économie
5. De plusieurs côtés, il est reconnu
qu’aujourd’hui un nouveau modèle de développement comme aussi un nouveau regard
sur l’économie s’avèrent nécessaires. Aussi bien le développement intégral,
solidaire et durable, que le bien commun, exigent une échelle correcte de
“biens-valeurs”, qu’il est possible de structurer en ayant Dieu comme référence
ultime. Il ne suffit pas d’avoir à disposition de nombreux moyens et de
nombreuses opportunités de choix, même appréciables. Autant les multiples biens
efficaces pour le développement, que les opportunités de choix doivent être
utilisés dans la perspective d’une vie bonne, d’une conduite droite qui
reconnaisse le primat de la dimension spirituelle et l’appel à la réalisation
du bien commun. Dans le cas contraire, ils perdent leur juste valeur, finissant
par s’ériger en nouvelles idoles.
Pour sortir de la crise financière et
économique actuelle – qui a pour effet une croissance des inégalités – il faut
des personnes, des groupes, des institutions qui promeuvent la vie en
favorisant la créativité humaine pour tirer, même de la crise, l’occasion d’un
discernement et d’un nouveau modèle économique. Le modèle prévalant des
dernières décennies postulait la recherche de la maximalisation du profit et de
la consommation, dans une optique individualiste et égoïste, tendant à évaluer
les personnes seulement par leur capacité à répondre aux exigences de la
compétitivité. Au contraire, dans une autre perspective, le succès véritable et
durable s’obtient par le don de soi, de ses propres capacités intellectuelles,
de son esprit d’initiative, parce que le développement économique vivable,
c’est-à-dire authentiquement humain, a besoin du principe de gratuité comme
expression de fraternité et de la logique du don[5].
Concrètement, dans l’activité
économique, l’artisan de paix se présente comme celui qui instaure avec ses
collaborateurs et ses collègues, avec les commanditaires et les usagers, des
relations de loyauté et de réciprocité. Il exerce l’activité économique pour le
bien commun, vit son engagement comme quelque chose qui va au-delà de son
intérêt propre, au bénéfice des générations présentes et futures. Et ainsi, il
travaille non seulement pour lui, mais aussi pour donner aux autres un avenir
et un travail décent.
Dans le domaine économique, il est
demandé, spécialement de la part des États, des politiques de développement
industriel et agricole qui aient le souci du progrès social et de
l’universalisation d’un État de droit, démocratique. Ensuite, la structuration
éthique des marchés monétaires, financiers et commerciaux est fondamentale et
incontournable ; ceux-ci seront stabilisés et le plus possible coordonnés
et contrôlés, de façon à ne pas nuire aux plus pauvres. La sollicitude des
nombreux artisans de paix doit en outre se mettre – avec plus de résolution par
rapport à ce qui s’est fait jusqu’à aujourd’hui – à considérer la crise
alimentaire, bien plus grave que la crise financière. Le thème de la sécurité
des approvisionnements alimentaires en est venu à être central dans l’agenda
politique international, à cause de crises connexes, entre autre, aux
fluctuations soudaines des prix des matières premières agricoles, aux
comportements irresponsables de certains agents économiques et à un contrôle
insuffisant de la part des gouvernements et de la communauté internationale.
Pour faire face à cette crise, les artisans de paix sont appelés à œuvrer
ensemble en esprit de solidarité, du niveau local au niveau international, avec
pour objectif de mettre les agriculteurs, en particulier dans les petites
réalités rurales, en condition de pouvoir exercer leur activité de façon digne
et durable, d’un point de vue social, environnemental et économique.
Éducation pour une culture de
paix : le rôle de la famille et des institutions
6. Je désire rappeler avec force que
les nombreux artisans de paix sont appelés à cultiver la passion pour le bien
commun de la famille et pour la justice sociale, ainsi que l’engagement en
faveur d’une éducation sociale valable.
Personne ne peut ignorer ou
sous-évaluer le rôle décisif de la famille, cellule de base de la société du
point de vue démographique, éthique, pédagogique, économique et politique. Elle
a une vocation naturelle à promouvoir la vie : elle accompagne les
personnes dans leur croissance et les incite au développement mutuel par
l’entraide réciproque. La famille chrétienne, tout particulièrement, porte en
elle le projet embryonnaire de l’éducation des personnes à la mesure de l’amour
divin. La famille est un des sujets sociaux indispensables à la réalisation
d’une culture de la paix. Il faut protéger le droit des parents et leur rôle
premier dans l’éducation des enfants, tout d’abord dans le domaine moral et
religieux. Dans la famille, naissent et grandissent les artisans de paix, les
futurs promoteurs d’une culture de la vie et de l’amour[6].
Dans cette immense tache de l’éducation
à la paix, les communautés religieuses sont particulièrement impliquées.
L’Église se sent partie-prenante d’une si grande responsabilité à travers la
nouvelle évangélisation, qui a comme pivot la conversion à la vérité et à
l’amour du Christ, et, par conséquent, la renaissance spirituelle et morale des
personnes et des sociétés. La rencontre avec Jésus Christ façonne les artisans
de paix en les engageant à la communion et au dépassement de l’injustice.
Une mission spéciale concernant la paix
est remplie par les institutions culturelles scolaires et universitaires. Il
leur est demandé une contribution importante non seulement à la formation de
nouvelles générations de leader, mais aussi au renouvellement des institutions
publiques, nationales et internationales. Elles peuvent aussi contribuer à une
réflexion scientifique qui enracine les activités économiques et financières
dans un solide fondement anthropologique et éthique. Le monde actuel,
particulièrement le monde politique, a besoin du support d’une nouvelle pensée,
d’une nouvelle synthèse culturelle, pour dépasser les approches purement
techniques et harmoniser les multiples tendances politiques en vue du bien
commun. Celui-ci, considéré comme un ensemble de relations interpersonnelles et
institutionnelles positives, au service de la croissance intégrale des
individus et des groupes, est à la base de toute éducation véritable à la paix.
Une pédagogie de l’artisan de paix
7. En conclusion, ressort la nécessité
de proposer et de promouvoir une pédagogie de la paix. Elle demande une vie
intérieure riche, des références morales claires et valables, des attitudes et
des manières de vivre appropriées. En effet, les œuvres de paix concourent à
réaliser le bien commun et créent l’intérêt pour la paix, en éduquant à la
paix. Pensées, paroles et gestes de paix créent une mentalité et une culture de
la paix, une atmosphère de respect, d’honnêteté et de cordialité. Il faut alors
enseigner aux hommes à s’aimer et à s’éduquer à la paix, et à vivre avec
bienveillance, plus que par simple tolérance. L’encouragement fondamental est
celui de « dire non à la vengeance, de reconnaître ses torts, d’accepter
les excuses sans les rechercher, et enfin de pardonner » [7], de sorte que
les erreurs et les offenses puissent être reconnues en vérité pour avancer
ensemble vers la réconciliation. Cela demande qu’une pédagogie du pardon se
répande. Le mal, en effet, se vainc par le bien, et la justice est recherchée
en imitant Dieu, le Père, qui aime tous ses enfants (cf. Mt 5, 21-48).
C’est un travail de longue haleine,
parce qu’il suppose une évolution spirituelle, une éducation aux valeurs les
plus élevées, une vision neuve de l’histoire humaine. Il convient de renoncer à
la fausse paix que promettent les idoles de ce monde et aux dangers qui
l’accompagnent, à cette fausse paix qui rend les consciences toujours plus
insensibles, qui porte au repliement sur soi, à une existence atrophiée vécue
dans l’indifférence. Au contraire la pédagogie de la paix implique action,
compassion, solidarité, courage et persévérance.
Jésus incarne l’ensemble de ces
attitudes dans son existence, jusqu’au don total de lui-même, jusqu’à
« perdre sa vie » (cf. Mt 10,39 ; Lc 17,33 ; Jn 12,25). Il
promet à ses disciples que, tôt ou tard, ils feront la découverte
extraordinaire dont nous avons parlé au début, à savoir que dans le monde, il y
a Dieu, le Dieu de Jésus, pleinement solidaire des hommes. Dans ce contexte, je
voudrais rappeler la prière par laquelle nous demandons à Dieu de faire de nous
des instruments de sa paix, pour porter son amour là où il y a la haine, son
pardon là où il y a l’offense, la vraie foi là où il y a le doute. Pour notre
part, avec le bienheureux Jean XXIII, demandons à Dieu qu’il éclaire les
responsables des peuples, afin que, tout en se préoccupant du légitime
bien-être de leurs compatriotes, ils garantissent et défendent le précieux don
de la paix. Qu’il enflamme la volonté de tous pour renverser les barrières qui
divisent, renforcer les liens de l’amour mutuel, user de compréhension à
l’égard d’autrui et pardonner à ceux qui leur ont fait du tort, de sorte que,
grâce à son action, tous les peuples de la terre fraternisent et que parmi eux
ne cesse de fleurir et de régner la paix tant désirée[8].
Par ce vœu, je souhaite que tous
puissent être de véritables artisans et bâtisseurs de paix, de sorte que la
cité de l’homme grandisse dans une concorde fraternelle, dans la prospérité et
dans la paix.
Du Vatican, le 8
décembre 2012.
[1] Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II,
Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 1.
[2]Cf. Lettre enc. Pacem in terris(11
avril 1963) : AAS 55 (1963), 265-266.
[3]Cf. ibid. : AAS 55 (1963), 266.
[4]BENOÎT XVI, Lettre enc. Caritas in
veritate(29 juin 2009), n. 32 : AAS 101 (2009), 666-667.
[5]Cf. ibid., n. 34 et 36 : AAS
101 (2009), 668-670 et 671-672.
[6]Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la
Journée mondiale de la Paix 1994(8 décembre 1993) : AAS 86 (1994),
156-162.
[7]Benoît XVI, Discours aux membres du
Gouvernement, aux institutions de la République, au corps diplomatique, aux
chefs religieux et aux représentants du monde de la culture, Baabda-Liban (15
septembre 2012) : L’Osservatore romano, édition française n. 3.253 (20
septembre 2012), p. 7.
[8]Cf. Lettre enc. Pacem in terris(11 avril
1963) : AAS 55 (1963), 304.
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